Cryptes et fantômes, de l’indicible à l’innommable
N. Abraham et M. Torök ont décrit dans leur livre* les inclusions qu’ils nomment « cryptes » au sein du Moi, séquelles enkystées de deuils familiaux non liquidés. Le fonctionnement psychique d’un enfant au contact d’un parent porteur de crypte serait affecté d’une façon que ces auteurs ont désigné sous le terme de « travail du fantôme au sein de l’inconscient » (1978). N. Abraham écrit : « le fantôme qui revient hanter est le témoignage de l’existence d’un mort enterré dans l’autre ». Le fantôme résulterait ainsi des effets sur l’inconscient de la crypte d’un autre, des effets de son secret enfoui.
Quand un travail d’élaboration psychique ne se fait pas à une génération, il en résulterait pour les enfants de la génération suivante un clivage qui constituerait une « véritable préhistoire de leur histoire personnelle ». L’enfant devrait ainsi composer non pas avec une expérience traumatique personnelle, mais avec le clivage du ou des parents dont il dépend psychiquement. Il serait porteur d’un « fantôme ».
Pour l’enfant les évènements ne seraient pas seulement « indicibles » mais « innommables », ne pouvant faire l’objet d’aucune représentation verbale. Leurs contenus seraient ignorés et seule leur existence serait pressentie et interrogée. Les deuils non liquidés pourraient ainsi atteindre, sous des formes différentes, tout le système familial sur plusieurs générations.
A. Ancelin Schützenberger ** écrit à ce sujet : « Le « fantôme » semble poursuivre son œuvre en silence et en secret. Il se manifeste par des mots occultés, par un non-dit, par un silence, par des béances dans la réalité, des lacunes laissées en soi par les secrets d’un autre. »
* ABRAHAM N. et TORÖK M. (1978), L’écorce et le noyau, Flammarion
**Anne Ancelin Schützenberger, Aïe mes Aïeux, DDB 1998
Catherine Montluc, Psychologue Paris 15e
Citation – J. Hochmann – Autisme
Hochmann J. (1984) : « L’autisme est un phénomène contagieux. L’enfant autiste par l’énigme qu’il représente, par la fascination qu’imposent son isolement, ses conduites répétitives et parfois ses talents paradoxaux, par l’emprise qu’il exerce autour de lui avec sa persistance dans l’immuable et par la véritable blessure qu’inflige à autrui le spectacle de ses crises d’angoisses dramatiques, modifie tous ceux qui l’approchent. Il est habile à susciter des fantasmes de toute puissance, à laisser croire à ses parents, ou à ses thérapeutes qu’eux seuls sont capables de le comprendre et possèdent la bonne manière de l’aider… mais la réalité se hâte de démentir les sentiments d’omnipotence. ».
Tenté successivement par la fascination ou l’abandon, le soignant doit avant tout à s’efforcer de maintenir une constante créativité dans sa relation à l’enfant autiste, créativité qui bien que « mise continuellement à mal par l’entropie psychotique » apparaîtrait comme renouvelant les possibilités d’évolution de l’enfant.
*J. Hochmann (1984) Pour soigner l’enfant psychotique. Odile Jacob
Catherine Montluc, Psychologue 75015
Consulter le précédent billet sur ce thème
Autisme et contagion
Etre soignant auprès d’enfants autistes fait souvent vivre des mouvements et des investissements contrastés et intenses, en miroir de ceux de l’enfant. La possibilité alors pour le thérapeute de se soumettre au regard et à la critique d’autres soignants, dans un échange pluridisciplinaire , et de s’adosser à un travail en collectif et en institution, apparaît comme un atout, évitant au soignant de succomber à cette « contagion de l’autisme » et de se perdre avec l’enfant dans une position fusionnelle.
A la fascination de l’enfant, à l’illusion d’être seul à pouvoir l’aider, à un attachement exacerbé à l’enfant, menacent en effet de succéder la désillusion, un sentiment d’incompétence pouvant atteindre parfois au rejet. Hochmann écrit : « Contenir pour le soignant c’est d’abord se contenir, résister aux effets morcelant de la rencontre avec l’enfant. Celui-ci est habile à briser les liens entre nos pensées quand elles le concernent et à nous plonger dans un état de confusion dont nous pouvons chercher à sortir soudain par un mouvement passionnel, une colère subite ou une dépression passagère… Or, les soignants sont les garants symboliques de la continuité spatio-temporelle de l’enfant dont ils ont la responsabilité. »
De son côté aussi, l’enfant est susceptible de développer un attachement exclusif à un soignant, qui ne supporterait aucun manquement. L’étayage sur un collectif soignant peut alors jouer pour l’enfant comme un pare-excitation, un « bruit de fond » atténuant l’intensité de la rencontre et relançant, ce faisant, ses possibilités d’évolution .
Catherine Montluc, Psychologue Paris 15e
Voir les articles précédents sur le sujet
Enfant de remplacement et travail de deuil
M. Porot dans son livre « L’enfant de remplacement » (1993), nous invite par un détour en littérature à mieux saisir la problématique si singulière de l’enfant de remplacement. Il y cite un poème intitulé « Le Revenant », où Victor Hugo (« Contemplations »,1843) se fait l’écho d’une mère qui, venant à nouveau d’enfanter après avoir perdu un premier enfant, poursuit son dialogue avec l’enfant mort :
« Elle entendit, avec une voix bien connue,
Le nouveau né parler dans l’ombre entre ses bras
Et tout bas murmurer : C’est moi. Ne le dis pas. »
Et de préciser que si certains de ces enfants de remplacement parviennent à surmonter ce handicap de départ – notamment une atmosphère de deuil non accepté, l’identification au mort dont on leur attribue la place et un sentiment de culpabilité paradoxal – d’autres enfants de remplacement, dans leur désir légitime d’exister par eux-mêmes, « seront amenés, inconsciemment à sortir des normes, (…) pour se démarquer du petit mort toujours trop vivant».
Pour être soi-même et surmonter l’affirmation de parents qui ont désigné avant sa naissance cet enfant de remplacement par un « tu es le mort », il lui faudrait ainsi pouvoir « tuer le mort » (A. Couvez). Cette formule, par nature certes cinglante, a le mérite d’insister sur la nécessité d’ accompagner les familles concernées dans leur travail de deuil pour que l’enfant vivant puisse accéder à une identité de soi.
Catherine Montluc, Psychologue 75015
-
Archives
- janvier 2022 (1)
- octobre 2020 (4)
- septembre 2020 (4)
- avril 2020 (2)
- mars 2020 (3)
- septembre 2018 (1)
- août 2018 (1)
- mai 2018 (1)
- avril 2016 (1)
- janvier 2016 (2)
- novembre 2015 (1)
- septembre 2015 (3)
-
Catégories
- Actualités
- actualités séminaires
- Addictions
- Au coin du feu – Livres
- Autisme
- Autisme TED
- Bibliotérapie
- Bienvenue sur Pagepsy
- Citations
- Cohérence Cardiaque
- concepts et pratique
- consultation
- coronavirus
- couple
- deuil
- EFT, Emotional Freedom Techniques, Education
- femmes
- identité narrative
- migration
- pépites de psy
- Psychanalyse
- Psychologie du sport
- psychologie energetique
- TED
- thérapie
- Thérapie de couple
- transgénérationnel
- Travail avec les enfants
- Uncategorized
- vidéo
-
RSS
Entries RSS
Comments RSS