A l’occasion du Salon du Livre 2013
Au moment ou s’achève l’édition 2013 du Salon du Livre à Paris, nous avons choisi de revenir plus spécifiquement sur certains bénéfices de la lecture, en particulier de la lecture de romans, et sur la résonance particulière que la lecture entretient avec le travail psychothérapique :
Le Pr Lejoyeux écrivait en 2007 : « Je crois (…) au pouvoir psychothérapique et libérateur des gros romans (…) Ils pèsent sur nos bras et allègent notre esprit (…) Nous lisons notre histoire en croyant suivre une aventure extérieure. Stendhal écrivait déjà qu’un roman est (…) « un miroir que l’on promène le long d’un chemin » »
Ailleurs P. Quignard souligne aussi que la lecture est avant tout une expérience altruiste car elle suppose un effort d’affinement des perceptions et de la conscience pour accueillir les propos d’un autre. C’est un exercice où en fait, il ne nous serait pas demandé de lire mais d’écouter : « lire, c’est prêter l’oreille » écrit t-il. (1997)
U. Eco et P. Ricoeur nous ont enseigné que le livre n’est pas seulement une matière à analyser mais plutôt le support d’un événement relationnel. Le livre apparaît ainsi comme médiation, support d’une dynamique dialectique entre deux subjectivités, celles du lecteur et de l’auteur qui s’enrichissent mutuellement.
Ainsi pour P. Ricoeur (1986) le lecteur ne ferait pas qu’imposer au texte « sa propre capacité finie de comprendre, mais il s’expose aussi à recevoir de lui un soi plus vaste. ». Il ajoute « Lecteur, je ne me trouve qu’en me perdant. La lecture m’introduit dans des variations imaginatives de l’ego » .
P.H Tavoillot (2004), a aussi souligné à sa manière cette fonction du récit qui « nous sort d’une conception fixiste ou figée de l’identité : ni totalement à découvrir (comme une chose pré-donnée), ni seulement à inventer (comme un artifice). »
Le livre réaliserait ainsi cette médiation essentielle par laquelle le lecteur « se défait de cette coïncidence de soi avec soi où le même « étouffe » sous lui-même » (E. Levinas, 1974).
Catherine Montluc, Psychologue Paris 15e
Voir les articles précédents sur le sujet
La transparence psychique, M. Bydlowski
« La grossesse est le moment d’un état psychique particulier, un état de susceptibilité ou de transparence psychique où des fragments de l’inconscient viennent à la conscience . » C’est ainsi que Monique Bydlowski dans « La dette de vie. Itinéraire psychanalytique de la maternité. » décrit l’état de transparence psychique de la femme enceinte.
Elle ajoute aussi que cette grossesse, occasion d’une « crise mâturative, contient sa propre capacité évolutive et contribue au processus de formation d’une identité nouvelle« .
Cet état de transparence psychique décrirait « à la fois un état relationnel particulier – d appel à l’aide latent et quasi permanent – et une corrélation entre la situation de gestation actuelle et les remémorations infantiles » qui irait « de soi sans soulever de résistance ».
Ce billet n’a d’autre ambition que d’inciter ceux qui accueillent et proposent une relation d’aide à des femmes enceinte à lire ou à relire encore une fois ce texte tant le concept de transparence psychique ouvre les possibilités d’un travail riche et sans cesse renouvelé et créatif avec ces patientes.
Catherine Montluc, psychologue Paris 15
Aller sur le site dédié aux consultations enfants, adultes, souffrance au travail et risques psychosociaux : Psychologue 75015
« L’enfant de remplacement » et le sentiment paradoxal de culpabilité
Tout enfant né après la mort d’un aîné n’est pas un « enfant de remplacement ». M. Hanus précise qu’il ne serait son « remplaçant » « que dans la mesure où ses parents, sa mère n’ont pas pu en faire le deuil. Cet enfant de remplacement sans véritable place personnelle devient un objet de deuil. Il est amené à la vie dans le deuil, pour le deuil de ceux qui l’ont procréé à défaut de pouvoir en effectuer eux-mêmes le travail ». Cet enfant de remplacement, » investi des fantasmes projetés par les parents sur l’enfant décédé, serait à cet égard toujours en défaut, l’enfant perdu et remplacé étant toujours idéalisé ».
Il apparaîtrait alors comme « l’objet fétichique de la mère, étant là pour porter le deuil de celui qui était avant lui et en faire le travail. Il est l’enfant d’une mère endeuillée d’un enfant. » (A. Sabbadini).
Comme l’a indiqué M. Porot, cet enfant, né dans une atmosphère de deuil non liquidé , identifié au mort dont on lui attribue la place, n’aurait pas le droit d’être lui-même et vivrait un sentiment de culpabilité paradoxal. Condamné à un non-être ou condamné à l’identique, auquel il lui serait difficile d’échapper, il souffrirait d’un sentiment de confusion de l’identité de soi.
Plus loin M. Porot (1996) indique encore que dans la survie de cet enfant, il y aurait comme une désignation. A propos de V. Van Gogh, célèbre « enfant de remplacement », V. Forrester décrit ce « frère mort dont il pense être, au mieux, le remplaçant, au pire, le meurtrier », « usurpant une place dans le monde des vivants ».
Si les parents se sentent coupables, voire tyrannisés par la culpabilité envers l’enfant perdu, ce deuil engendre aussi pour l’enfant de remplacement un sentiment paradoxal de culpabilité du survivant .
Catherine Montluc, Psychologue Paris 15e
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Alexithymie et addiction
« L’un des buts du comportement addictif est de se débarrasser de ses affects ! (mettre) un écran de fumée sur la quasi-totalité de son expérience affective » (McDougall J.).
La dimension d‘alexithymie, terme inventé par Sifnéos caractérise l’absence de mots pour exprimer ses émotions (a: privatif; lexi: mots; thymie: émotions, humeur). En 1970, Sifneos a défini l’alexithymie comme un déficit : « une vie fantasmatique pauvre avec comme résultat (…) une tendance à utiliser l’action pour éviter les conflits et les situations stressantes, une restriction marquée dans l’expression des émotions et particulièrement une difficulté à trouver les mots pour décrire ses sentiments ». Elle serait « une inhabilité à pouvoir faire des connexions entre les émotions et les idées, les pensées, les fantasmes, qui en général les accompagnent ».
Rappelons avec I. Varescon (2007) que les études sur l’alexithymie ont indiqué une prévalence de cette caractéristique dans les conduites de dépendance.
Cette prévalence serait en lien comme l’a écrit C. Jouanne (2006) avec les troubles de la régulation émotionnelle chez ces sujets. Les relations de dépendance engagées par les sujets alexithymiques envers des objets seraient une défense contre une dépendance affective menaçante pour leur identité. L’alexithymie pourrait ainsi s’envisager selon C. Jouanne, plus que sur le versant déficitaire comme un « processus adaptatif, défense, gel pulsionnel, émotionnel, visant à protéger le sujet ».
I. Varescon (2009) a aussi souligné que les troubles émotionnels en termes de déficit ou régulation étaient un facteur de risque et de maintien des addictions comportementales ou « sans drogue » et de nombreuses études ont mis en évidence une corrélation positive entre alexithymie et dépression (Jouanne C., 2006).
L’alexithymie favoriserait le recours à l’addiction qui renforcerait « la défense jusqu’à la structurer du fait de l’appauvrissement relationnel qu’elle engendre et perpétue ».
Ailleurs, Corcos M et al. (2007) ont insisté sur l’alexithymie comme mécanisme de défense contre la dépression. Ils ont évoqué « l’idée d’une défaillance du Symbolique ou/et de la représentation des émotions chez certains sujets. L’alexithymie renverrait à une position première dans le développement normal (…) sur laquelle l’activité psychique du sujet (…) se développe en fonction de la nourriture objectale (valeur émotionnelle, capacité de rêverie). Si le sujet régresse à cette position archaïque c’est que les liens noués dans l’enfance se sont nourris, pour une part, dans certaines interactions affectives de carence. Cette position régressive (…) protègerait de la dépression essentielle. ».
La question de l’identité dans les addictions
Nombre d’auteurs qui ont écrit sur les addictions ont souligné l’importance de cette question de l’identité dans les problématiques de l’addiction.
Pedinielli J.L. et al. (1997) ont indiqué que si la majorité des travaux avait montré que l’addiction pouvait avoir des vertus sédatives, elle comportait aussi, selon les théories psychanalytiques, une fonction restitutive de l’identité.
G. Pirlot (2009) a exploré ce lien entre « addiction et problématique identitaire » : le comportement « addictif » apparaissant comme un processus mettant en jeu un système de récompense lorsque, faute de « tonus psychique de base » et de « tonus de base identitaire », l’appareil psychique ne parvenait pas à réguler par lui-même ses conflits ou émotions en excès.
Ainsi un « déficit » de construction identitaire chez un individu serait propice au développement de comportements d’addiction.
D’autres auteurs, parmi lesquels P. Jeammet, ont indiqué aussi que le sentiment de sécurité intérieure semblant manquer au sujet, les addictions auraient fonction de compromis, en mettant sous emprise un élément de réalité extérieure, avec pour enjeu central la sauvegarde de l’identité (selon l’indication de Pedinielli et al., 1997).
O. Taïeb et al. (2008) ont aussi souligné qu’il était d’autant plus nécessaire de s’intéresser à la construction de l’objet « addiction » que les patients avec addictions, « face à la fragilité de leurs assises narcissiques, utilisent de façon prédominante la réalité externe pour sauvegarder leur identité » Jeammet P. ( 1997) et organiser l’équilibre psychique interne.
Catherine Montluc
Les vertus du roman – bibliothérapie
Le Pr Lejoyeux M. (2007) a déjà vanté les vertus du roman : : « Je crois (…) au pouvoir psychothérapique et libérateur des gros romans (…) Ils pèsent sur nos bras et allègent notre esprit (…) Nous lisons notre histoire en croyant suivre une aventure extérieure. Stendhal écrivait déjà qu’un roman est (…) « un miroir que l’on promène le long d’un chemin » (…) Les romans (…) nous libèrent de nos émotions du moment (…), nous apaisent en changeant la thématique de nos angoisses. Ils nous sèvrent d’un présent que nous ne savons pas toujours comment fuir. ».
A. Memmi a également proposé ce développement intéressant sur le thème de la littérature: « L’art (…) nous propose un substitut magnificient de nos existences… réponse idéelle à des difficultés réelles ou imaginaires. C’est évident dans les œuvres de littérature à cause de leur forme discursive (…). Lorsque l’écriture fut inventée (…) ce n’était d’abord qu’un outil» écrit-il « on s’avisa de ses extraordinaires possibilités d’expression, de fixation, de transmission de l’ensemble de l’expérience humaine : on passa de l’écriture à la littérature.(…) La littérature est une vie rêvée selon les désirs de l’auteur et ceux du lecteur.»
Outre ces réponses à des difficultés quotidiennes offertes par la lecture et un accès au désir et au rêve, cette citation insiste sur la capacité de transmission de l’expérience humaine par le livre. P. Quignard l’a évoqué lui aussi dans La Grande Librairie (2009) : « Dans la lecture il y a quelque chose qui perd l’identité... un effacement qui fait que, de livre en livre, quelque chose de l’expérience humaine se transmet », octroyant ainsi une place à la question de l’identité et nous donnant des clés pour penser un apport de la lecture, dans nos pratiques.
Catherine Montluc
Bibliothérapie
Dans la mouvance des deux précédents articles sur « Lecture et dépendance », voici de quoi enrichir la réflexion sur un apport dans la pratique psychothérapeutique de la lecture, idée partagée par ceux qui s’intéressent à ce qu’on appelle la « bibliothérapie ». C’est à travers les écrits de Paul Ricoeur et d’Umberto Eco notamment que des clés nous sont données.
P. Ricoeur (1986) nous le rappelait : le lecteur ne fait pas qu’imposer au texte « sa propre capacité finie de comprendre, mais il s’expose aussi à recevoir de lui un soi plus vaste. ».
U. Eco (1979) a, quant à lui, mis en évidence à travers la notion de coopération textuelle, que « le texte postule la coopération du lecteur comme condition d’actualisation » et qu’« un texte est un produit dont le sort interprétatif doit faire partie de son propre mécanisme génératif », l’interprétation ne venant pas après le livre, mais faisant partie du livre lui-même.
En ce sens, le lecteur n’entrerait pas, passif, dans un texte aux sens figés. La lecture est une coproduction entre l’auteur et le lecteur, toujours singulière et créatrice de sens multiples. « Lecteur, je ne me trouve qu’en me perdant. La lecture m’introduit dans des variations imaginatives de l’ego » a écrit P. Ricœur (1986).
Au regard de ces thèses, la lecture apparait comme un acte créatif, forçant l’imagination et réclamant une capacité d’étonnement et de changement du lecteur qui s’y adonne.
Lire serait ainsi être ouvert à la rencontre de l’étrangeté la plus radicale, le récit de l’autre venant, comme l’écrit M.A. Ouaknin (1994), « faire fracture » en soi pour ouvrir à une autre dimension du monde et à soi-même.
P.H. Tavoillot dans son article du Point (2004), a souligné à sa manière cette fonction du récit qui « nous sort d’une conception fixiste ou figée de l’identité : ni totalement à découvrir (comme une chose pré-donnée), ni seulement à inventer (comme un artifice). »
Ces quelques pistes de réflexion me semblent bien entendu avantageusement alimenter le travail du psychologue, si ce n’est directement par la bibliothérapie, du moins par la réflexion et le cheminement qu’elles soulignent, tant il est important que nous puissions encourager nos patients à se (re)construire au travers d’une identité narrative dynamique et porteuse de sens pour eux.
Catherine Montluc
Voir les articles précédents sur « lecture et dépendance »
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